Patinoire de Bourgueil (37)
Organisation : Foyer des jeunes
50 frs
La nuit folle de Bourgueil : "Moi j'aime les bananes, quand y a du rock dedans !"
Ils attendaient 3.000 personnes, pas moins, dans leur patinoire toute neuve métamorphosée en temple à Gégène, Bill, Eddie, Elvis et Carl, le temps d’une soirée un peu folle : il en est venu 500 environ, qui avaient gagné Bourgueil samedi sur le coup de 21heures, pour se payer une tranche, une vraie, de rockabilly. Mais ce demi-millier de fans a dû faire chaud au cœur du Foyer des jeunes de la commune, qui avait eu l'idée d'offrir, au pays de Jean Carmet et des réjouissances pinardières, un plateau extra : pensez donc, il y avait là, en chair et en or. les trois têtes d'affiche du rockabilly tricolore. Dans l’ordre : les Rockin'Rebels, Chris Evans, les Alligators. De quoi faire frémir toutes les "bananes" du monde et voler les robes 50, donner des fourmis à un paralytique et des sueurs de nostalgie aux pépés de trente ans qui avaient fait le déplacement de Bourgueil ! Nous en étions : même que, le temps d’une superbe version du "Yaya Twist" de nos quinze ans, balancée par les Alligators, le sol, glissant de la patinoire devait nous valoir une chute aussi vertigineuse qu'humiliante…
A part ça… quelle soirée !
Devant un auditoire où les garçons l’emportaient, et de loin, dans la course au "look" le plus fou, sur les filles (pour une nana à la robe courte et aux bas résille noirs particulièrement réussie, combien de rockies à l’allure dingue, "banane" agressive, pompes écrase-merde et redingotes !), les Rockin’ Rebels avaient ouvert le feu. Pour les avoir conspués l’an dernier en première partie des Stray Cats à Tours, nous avions peur. Très peur ! Mea culpa : samedi à Bourgueil, les Rebels étaient tout simplement superbes. A l'image du guitariste du groupe avec son faux air d’enfant de chœur, ou du chanteur, qui a dû en des heures devant sa glace, à répéter dans leurs moindres détails les poses jeux de scène et mimiques de ses idoles ! Dans la foulée, le nommé Chris Evans manquait sérieusement de vitamine. On l’annonçait "frénétique" : il nous a paru un peu pâlot. On le disait habité par l'esprit des grands ancêtres : il a réussi à ne jouer qu’au sous-Gène Vincent, au rocker un tantinet ringard, maladif et pas même "crazy". Heureusement, heureusement, pour clore la soirée en beauté, ces jeunes crocodiles d’Alligators caennais étaient là. Leur chanteur, victime récemment d’une fracture de la jambe, avait amené ses béquilles sur scène : comme ça, avec sa gueule maligne et sa belle chemise rouge et noir, il avait l’air d’un pèlerin de Lourde qui aurait aperçu Gégène ou Elvis dans la grotte et aurait illico entamé "Something Else"…
Les Alligators, ouvrant tout grand le gosier, ont sorti le grand jeu, sans une seconde de répit. Et le "bœuf" final, avec les trois groupes réunis, était un beau morceau d’anthologie rock. Dans la salle, ça se tortillait dur, et Bernard, le quinquagénaire de Bourgueil venu en voisin et en curieux oublier sa solitude, n'était pas le dernier à être entré dans la danse. Les autres samedis, il a le musette : alors vive l’éclectisme, les "bananes" et les petites louloutes, disaient les yeux embrumés de Bernard, ce soir-là. Les nôtres aussi…
Pierre IMBERT. NR du 18/05/1982